Je
ne saurais dire quelle mélodie ce soir-là attira mon oreille. Mais
une tristesse m'envahissait alors qu'une ombre grandissait.
Le
ciel s'était vidé de toutes étoiles. Les nuages d'ombre
ternissaient le ciel nocturne, d'un hiver rude. Une fumée très
légère apparaissait par moment le long d'un chemin de
terre battue. On entendait par ci et par là des cailloux rebondirent
les uns sur les autres. Un chant joyeux, rompait le silence glacial
de cette nuit blême. Un jeune garçon avançait dans la pénombre.
Ses yeux pétillaient d'un éclat astral. Il chantonnait. Parfois, il
se baissait pour refaire ses lacets, qu'il négligeait. Il ne lassait
ses chaussures que pour que cela ne tienne que quelques mètres. Il
pouvait ainsi, à chaque fois qu'il se pliait, chercher des cailloux
brillants sur ce sol terne. Il en emplissait ses poches, cousues et
décousues par l'usure. Un crépitement s'entendait lorsqu'une petite
pierre en rencontrait une autre. Il sautillait joyeusement.
Sa
vie, n'était qu'une suite de journées toutes plus maussades les
unes que les autres. Il avait grandi sur ce chemin de terre
blanche, qui l'emmenait depuis ses quatre ans à l'usine.
Sa voix douce, innocente, faisait sourire la Lune, qui lui éclairait
alors la voie pour rentrer chez lui.
Ce
jeune enfant prenait son temps, parfois, il s’arrêtait parfois
pour défaire les noeuds de ses lacets et ainsi se posait sur le bord
du sentier. Il levait alors les yeux, et souriait à l'astre de la
Nuit, qu'il prenait pour sa mère. Les étoiles étaient trop petites
pour lui. Il ne souhaitait contemplait que celle qui illuminait sa
marche. Et lorsque que son sourire se voilait, il pensait à sa
maison. Il savait ce qu'il s'y passerait. Son père était un ancien
militaire. Violent, de mauvaise humeur, un odieux personnage. Les
joues roses du garçon, pleuraient encore des gifles qu'elles avaient
subi la veille. Sa mère dépressive, ne pensait plus à ce qui
l'entourait, elle vivait, mais le garçon se doutait qu'il ne
parlerait plus jamais avec elle. Quelque part, une fleur commençait
à se faner sous la lumière de la Lune.
Alors
que ses souliers durs résonnaient sur le chemin, le garçon
apercevait, par delà ses rêves, au dessus de ses craintes,
le bâtiment qui abritait sa douleur. Il marchait de moins
en moins vite, puis arriva aux marches en pierre au pied du seuil de
la porte. Son deuil commençait, sa gorge se nouait. La vieille
planche de bois massive grinçait, comme si elle gardait un danger,
celui qui hante les donjons, qui ternit le courage et la témérité.
Ses mains frêles fermaient lentement la porte. Il défaisait ses
lacets nerveusement. Il se glissait comme une ombre entre chaque
pièce, se cachant derrière les meubles. Il atteignait l'évier.
Tirant sans bruit un tabouret de dessous, il se hissait face au
robinet. L'eau chaude, réconfortante coulait sur ses doigts. Il
saisit le savon. Ce petit cube merveilleux, qui, lorsque'il est
frotté, libère des petites bulles parfumant l'air. Toujours
nerveusement, il ne cesse de remuer cette pièce blanche entre ses
mains. Ce bloc de savon lui fait penser aux fleurs qui ne poussent
que la nuit et dans lesquelles il aime tant s'étendre. Il est
émerveillé. Derrière son dos, loin de son plaisir moussant, un
serpent se dresse.
Un
pied heurte son tabouret, et l'enfant trébuche, le savon glisse de
ses mains et décolle dans un coin de la pièce. Une forte poigne lui
saisit les cheveux. C'était lui. Le garçon le savait. Cet homme
sombre. Il essaye de se débattre pour glisser des doigts de son
prédateur. La main résiste. Une voix furieuse résonne dans ses
oreilles. Une gifle l'étourdit, il tombe au sol. Comme un faible
animal blessé, il rampe et cherche tant bien que mal à s'enfuir. Sa
tête s'écrase à nouveau par terre. Le savon, non loin de lui, a
laissé derrière sa chute une traînée de mousse, il trempe ses
doigts dedans. Les larmes emplissent ses yeux bleus. Il finit par
échapper à l'étreinte du reptile et court se cacher dans sa
chambre. Dans un désert naissant, une fleur éclatante agonise.
Se
réfugiant dans son lit, il prie, laisse les larmes couler. Il sent
une main de fer, le sortir des profondeurs duveteuses. Le petit
garçon gesticule, et saisit les petits cailloux qu'il avait ramassé
pour les jeter dans les yeux de cet homme. Il projette ce ferment,
qu'il avait depuis si longtemps pour les pierres de ce sentier. Il
détruit sa passion, avec haine et rage. L'homme lâche prise, le
garçon le percute pour le faire choir. Son petit coeur boue, il
s'enflamme et propage dans ses veines un acide, celui qui vous ronge
les muscles, qui vous essouffle. Evitant de justesse de glisser sur
le savon au sol, il enfonce ses petits pieds dans les profondeurs de
ses chaussures sans prendre le temps de faire les lacets. Il court,
et entend derrière lui un cri de rage puis un déclic.
Un
canon cracha son feu. Les plombs touchent le garçon à l'épaule. Il
glissa du chemin et s'écroula dans le fossé. Son sang pourpre,
voila la nuit clair. Ses cris de douleurs retournèrent les mers. Il
essaya de calmer la douleur en appliquant le ferment d'herbes qu'il
trouva au fond de la tranchée. Son corps ne supporta pas cette
blessure. Ses yeux se refermèrent sur la Lune, la main tendue sur la
voie lactée.
Dans
un désert de glace, une silhouette marche, elle se déplace à
l'encontre des vents. Ses pieds soulèvent des amas de sable, sa
tunique sombre vole dans les sirrocos glacés. Son hurlement déchire
encore les cieux, même si ils viennent des profondeurs des abysses.
Le coeur de cet enfant est mort, son innocence est devenue
vengeance... La fleur s'est asséchée, elle s'est transformée en
sable...