dimanche 29 avril 2012

La naissance de l'Ombre.


 Je ne saurais dire quelle mélodie ce soir-là attira mon oreille. Mais une tristesse m'envahissait alors qu'une ombre grandissait.


  Le ciel s'était vidé de toutes étoiles. Les nuages d'ombre ternissaient le ciel nocturne, d'un hiver rude. Une fumée très légère apparaissait par moment le long d'un chemin de terre battue. On entendait par ci et par là des cailloux rebondirent les uns sur les autres. Un chant joyeux, rompait le silence glacial de cette nuit blême. Un jeune garçon avançait dans la pénombre. Ses yeux pétillaient d'un éclat astral. Il chantonnait. Parfois, il se baissait pour refaire ses lacets, qu'il négligeait. Il ne lassait ses chaussures que pour que cela ne tienne que quelques mètres. Il pouvait ainsi, à chaque fois qu'il se pliait, chercher des cailloux brillants sur ce sol terne. Il en emplissait ses poches, cousues et décousues par l'usure. Un crépitement s'entendait lorsqu'une petite pierre en rencontrait une autre. Il sautillait joyeusement.
 Sa vie, n'était qu'une suite de journées toutes plus maussades les unes que les autres. Il avait grandi sur ce chemin de terre blanche, qui l'emmenait depuis ses quatre ans à l'usine. Sa voix douce, innocente, faisait sourire la Lune, qui lui éclairait alors la voie pour rentrer chez lui.

 Ce jeune enfant prenait son temps, parfois, il s’arrêtait parfois pour défaire les noeuds de ses lacets et ainsi se posait sur le bord du sentier. Il levait alors les yeux, et souriait à l'astre de la Nuit, qu'il prenait pour sa mère. Les étoiles étaient trop petites pour lui. Il ne souhaitait contemplait que celle qui illuminait sa marche. Et lorsque que son sourire se voilait, il pensait à sa maison. Il savait ce qu'il s'y passerait. Son père était un ancien militaire. Violent, de mauvaise humeur, un odieux personnage. Les joues roses du garçon, pleuraient encore des gifles qu'elles avaient subi la veille. Sa mère dépressive, ne pensait plus à ce qui l'entourait, elle vivait, mais le garçon se doutait qu'il ne parlerait plus jamais avec elle. Quelque part, une fleur commençait à se faner sous la lumière de la Lune.

 Alors que ses souliers durs résonnaient sur le chemin, le garçon apercevait, par delà ses rêves, au dessus de ses craintes, le bâtiment qui abritait sa douleur. Il marchait de moins en moins vite, puis arriva aux marches en pierre au pied du seuil de la porte. Son deuil commençait, sa gorge se nouait. La vieille planche de bois massive grinçait, comme si elle gardait un danger, celui qui hante les donjons, qui ternit le courage et la témérité. Ses mains frêles fermaient lentement la porte. Il défaisait ses lacets nerveusement. Il se glissait comme une ombre entre chaque pièce, se cachant derrière les meubles. Il atteignait l'évier. Tirant sans bruit un tabouret de dessous, il se hissait face au robinet. L'eau chaude, réconfortante coulait sur ses doigts. Il saisit le savon. Ce petit cube merveilleux, qui, lorsque'il est frotté, libère des petites bulles parfumant l'air. Toujours nerveusement, il ne cesse de remuer cette pièce blanche entre ses mains. Ce bloc de savon lui fait penser aux fleurs qui ne poussent que la nuit et dans lesquelles il aime tant s'étendre. Il est émerveillé. Derrière son dos, loin de son plaisir moussant, un serpent se dresse.

 Un pied heurte son tabouret, et l'enfant trébuche, le savon glisse de ses mains et décolle dans un coin de la pièce. Une forte poigne lui saisit les cheveux. C'était lui. Le garçon le savait. Cet homme sombre. Il essaye de se débattre pour glisser des doigts de son prédateur. La main résiste. Une voix furieuse résonne dans ses oreilles. Une gifle l'étourdit, il tombe au sol. Comme un faible animal blessé, il rampe et cherche tant bien que mal à s'enfuir. Sa tête s'écrase à nouveau par terre. Le savon, non loin de lui, a laissé derrière sa chute une traînée de mousse, il trempe ses doigts dedans. Les larmes emplissent ses yeux bleus. Il finit par échapper à l'étreinte du reptile et court se cacher dans sa chambre. Dans un désert naissant, une fleur éclatante agonise.

 Se réfugiant dans son lit, il prie, laisse les larmes couler. Il sent une main de fer, le sortir des profondeurs duveteuses. Le petit garçon gesticule, et saisit les petits cailloux qu'il avait ramassé pour les jeter dans les yeux de cet homme. Il projette ce ferment, qu'il avait depuis si longtemps pour les pierres de ce sentier. Il détruit sa passion, avec haine et rage. L'homme lâche prise, le garçon le percute pour le faire choir. Son petit coeur boue, il s'enflamme et propage dans ses veines un acide, celui qui vous ronge les muscles, qui vous essouffle. Evitant de justesse de glisser sur le savon au sol, il enfonce ses petits pieds dans les profondeurs de ses chaussures sans prendre le temps de faire les lacets. Il court, et entend derrière lui un cri de rage puis un déclic.

 Un canon cracha son feu. Les plombs touchent le garçon à l'épaule. Il glissa du chemin et s'écroula dans le fossé. Son sang pourpre, voila la nuit clair. Ses cris de douleurs retournèrent les mers. Il essaya de calmer la douleur en appliquant le ferment d'herbes qu'il trouva au fond de la tranchée. Son corps ne supporta pas cette blessure. Ses yeux se refermèrent sur la Lune, la main tendue sur la voie lactée.

 Dans un désert de glace, une silhouette marche, elle se déplace à l'encontre des vents. Ses pieds soulèvent des amas de sable, sa tunique sombre vole dans les sirrocos glacés. Son hurlement déchire encore les cieux, même si ils viennent des profondeurs des abysses. Le coeur de cet enfant est mort, son innocence est devenue vengeance... La fleur s'est asséchée, elle s'est transformée en sable...


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